Carnets de guerre d’un interprète français auprès de l’armée américaine.
31 juillet - 30 décembre 1918
Ouvrage publié sous la direction éditoriale de Brice Leibundgut et Éric Mansuy.
136 pages de texte, 48 pages de photographies.
Strasbourg
2022
Pour notre grand bonheur, les remarquables carnets de guerre écrits par un ami de Louis Pergaud et du poète Léon Deubel sont maintenant accessibles au grand public. Sortis de l’ombre grâce aux bons soins de Claude Duboz, conservateur des archives de Louis Pergaud et de Brice Leibundgut, président de l’Association des Amis de Louis Pergaud, ils constituent un reportage unique, en direct et approfondi de la vie d’un interprète français auprès des troupes américaines dans les Vosges et en Argonne durant la Première Guerre mondiale.
D’emblée, saluons l’ample travail de recherche minutieuse qui a permis la réalisation de ce très beau livre publié aux Éditions Vademecum.
Brice Leibundgut et Éric Mansuy nous présentent un ouvrage exceptionnel fruit de leur connaissance approfondie de la vie de Louis Pergaud, dont Eugène Chatot fut un ami, et de la Première Guerre mondiale en particulier dans les Vosges et en Alsace.
Ce livre étonnant nous conduit de surprise en surprise.
Le titre, c’est la première surprise, on ne s’attend pas à un titre d’allure si moderne dans une collection traitant de la Grande Guerre, on comprend, au cours du texte, pourquoi ce titre est si bien choisi.
La deuxième surprise vient de la qualité de l’édition. Les livres sur la Première Guerre mondiale n’ont pas tous cette présentation impeccable. Les pages avec couverture à rabats nous permettent d’accéder directement à la fine écriture de l’auteur. La mise en page est soignée, le texte est accompagné de traduction, d’un glossaire militaire, de biographies, d’index, d’un catalogue photographique, de photographies aériennes, plans, cartes topographiques, photographies anciennes.
L’édition est parfaite, chaque détail est soigné, cela va de la qualité du papier à la teinte des pages au choix et à l’agencement des photographies. Ce livre est une totale réussite dans la présentation.
Troisième surprise : le texte!
Chatot, c’est une plume! Le style va de la confidence à l’envolée lyrique, de la confession au réalisme. L’auteur écrit d’abord pour lui, peut-être pour des proches, surtout pour ne pas oublier. Le style est souvent brillant, ce qui est surprenant puisque l’auteur écrit à chaud dans les combats, parfois en première ligne ou au froid dans des chambres ou des abris de fortune lors de ces saisons de trop grande chaleur, de froid excessif, de pluie et de boue.
Nous allons de surprise en surprise. Nous sommes étonnés de voir comment cet interprète, qui arpente des terrains dévastés, arrive à s’extasier devant des fleurs qu’il nomme avec une précision rare, comment il décrit ces paysages détruits, ces maisons en ruine et leurs habitants, comment il évoque, en une ligne, leurs vies et leurs drames.
L’auteur note ce qu’il mange, nous savons quels plats il a savourés, lesquels il a détestés. Il énumère les bons vins et les champagnes qui parfois égayaient les repas.
Sous les fréquents bombardements, la guerre est partout autour et sur lui. Chatot effectue son travail d’interprète, il relate les opérations auxquelles il participe. Il ne joue pas au héros. Par une volonté de s’élever au-dessus du tragique, il puise chez certains auteurs des citations tout à fait appropriées. On découvre un vrai écrivain.
Malgré la boue collante, l’interprète lit, se cultive, tente de dormir sous les bombardements. Chatot ne sombre pas dans la dépression qui le guette. Il prend une certaine distance par rapport au drame, c’est une constante très originale dans cet écrit sur la Grande Guerre. Ce livre est une leçon de stoïcisme.
Jamais il n’oublie les siens.
Il faut replacer ces lignes de Chatot dans l’esprit du temps. Les propos de Chatot au sujet de certains soldats d’outre-mer se battant pour la France pourraient paraître offensants de nos jours.
De même, les commentaires sur certains Américains ne sont pas toujours élogieux.
Autres temps, autres mœurs.
Par sa précision, ce livre est désormais un outil pour tous les historiens et les chercheurs.
Il se révèle aussi d’un grand intérêt pour le public en général parce que c’est un livre original, bien écrit et cela dans des conditions extrêmes.
Goodbye Chatot! offre des heures émouvantes, captivantes, en compagnie d’une personne cultivée, observatrice, qui a su traverser les épreuves avec courage, parfois humour, toujours avec dignité.
Chatot devait penser à ses amis Louis Pergaud et Léon Deubel. Chacun eut son parcours, son destin.
Dans ce livre, on découvre un érudit curieux de tout, un homme qui, tout en restant prudent, toise la guerre avec bravoure et ses carnets en témoignent, avec panache.
C’est avec nostalgie que l’on quitte cet ouvrage en disant à notre tour : Goodbye Chatot!
Pour les lectrices et lecteurs du Canada, Chatot parle ( p.77 ) de son camarade Juillon, qui, avant-guerre, fut curé en Saskatchewan. On trouvera en page 128 une biographie de Juillon ou Jullion. Si vous avez plus de renseignements au sujet de cette personne, merci de bien vouloir communiquer avec l’auteur, monsieur Brice Leibundgut.
Jean-Louis Grosmaire
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