Auteur: Claude E. Léger
Caraquet, Les Éditions de la Francophonie, 2019, 126 p.
Au terme de la lecture du livre de M. Claude Léger, me revient à la mémoire la chambre de ma grand-mère en Franche-Comté, dans l’est de la France.
La photographie de son époux Pierre était bien en vue sur une commode. Jeune, moustachu, en uniforme, il nous accueillait lorsque nous entrions dans la chambre. La photographie était posée près de l’horloge sous sa cloche de verre.
Jamais mon grand-père Pierre n’est revenu du front.
Je retrouve avec émotion des visages semblables sur les photographies du livre de M. Léger. Des jeunes, qui n’avaient pas tous l’âge légal, qui se sont enrôlés, pour plusieurs raisons. Ils sont là, devant le photographe à Valcartier, défilant dans les rues de Campbellton. M. Léger montre leur parcours, celui des officiers, sous-officiers, de l’aumônier qui quittèrent leurs familles pour défendre l’Empire, la France.
Cet ouvrage est un livre de référence, un livre de mémoire, une source pour la recherche. À partir de cette base, les chercheurs pourront explorer d’autres pistes. Les familles retrouveront les noms de leurs parents, de ceux qui partirent, de ceux qui ne revirent pas, qui sacrifièrent leur vie, de ceux qui retournèrent au pays, blessés dans le corps et dans l’âme.
Ce travail précis, puisant aux sources les plus fidèles, offre le reflet d’une époque. On comprend mieux les tensions politiques, ethniques, les concurrences pour s’arracher les jeunes et les enrôler. La rude traversée de l’océan, les destins, sont évoqués; chaque homme est une histoire qui forge la grande Histoire.
Dans ces regards, sur ces photographies, les familles de l’Acadie se retrouveront. Il ne s’agit pas que de l’histoire du 132e bataillon (North Shore), ici est magistralement présentée la vie d’une société prise dans l’engrenage infernal de la Première Guerre mondiale. L’auteur a su nous montrer comment la vie provinciale s’entremêle à la vie fédérale, le tout en temps de guerre.
Étonnantes sont les lignes rapportées par l’auteur sur la culpabilisation publique des mères de famille accusées de retenir leurs jeunes (p.44).
On découvre l’ampleur du travail de recrutement, le rôle des assemblées tenues dans chaque ville et bourgade, l’influence des prêtres, des officiers de l’élite acadienne.
Ce texte est clair, précis, bien documenté, même si les sources, ne sont pas toujours faciles d’accès.
On évoque fort bien les discours des recruteurs, l’indignation des orangistes, les insultes dont sont victimes les jeunes Acadiens, la guerre, les morts, les blessures, les retours.
Ce régiment finit par de se fondre dans les autres, un régiment dont on perdit même les drapeaux.
Découvrez ces pages fort instructives sur l’histoire du nord-est du Nouveau-Brunswick, cette région qui saluait ses jeunes défilant dans la musique des fanfares, la fine fleur de l’Acadie qui s’en allait à Valcartier puis par Halifax, vers les vieux pays.
Voici un livre riche, très bien présenté par les Éditions de la Francophonie, illustré de photographies et documents rares. Cette œuvre ouvre les portes des futures recherches, pose les bases, ancre la mémoire pour que l’on se souvienne de ceux qui épaulèrent, au sacrifice de leurs vies, leurs frères d’armes, parmi eux mon grand-père, et tous les soldats pris dans l’immense et douloureuse Guerre mondiale.
Merci à M. Léger de compléter si bien notre mémoire collective. Ces jeunes et leurs familles le méritaient amplement.
Jean-Louis Grosmaire
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